Si comme beaucoup, vous avez cet étrange sentiment de vous sentir déboussolé sans savoir expliquer pourquoi, c’est probablement que votre inconscient est perdu dans un monde moderne qui lui est totalement étranger. Autres temps, autres mœurs, par conséquent, ne soyez pas trop dur avec vous-même !
Pour comprendre ce qu’est le syndrome du progrès, il faut d’abord comprendre ce qu’est la capacité d’adaptation. Je vais pour cela utiliser un récit connu sous le nom de fable de la grenouille.
Selon cette fable, si vous plongez une grenouille dans une casserole remplie d’eau à température ambiante et que vous augmentez très progressivement la température, la grenouille ne percevra pas le danger et finira par s’adapter jusqu’à ce qu’il soit trop tard. En revanche, si vous la plongez directement dans l’eau chaude, elle sautera immédiatement hors de la casserole.
Bien que les grenouilles soient en réalité très sensibles aux changements de température et s’échapperaient bien avant que la situation ne devienne critique, cette fable reste puissante pour illustrer la façon dont nous, humains, pouvons parfois nous adapter à des changements graduels sans en percevoir les dangers. Le progrès est pour l’être humain ce qu’est la température de l’eau pour la grenouille dans la fable, là où notre organisme est le résultat d’une très lente évolution qui se compte en millions d’années.
Seulement voilà, la fulgurance du progrès depuis deux siècles a métamorphosé votre environnement, ce dont vous êtes conscient mais pas votre organisme dont l’évolution est régie par des lois naturelles dont la technologie est absente. Ainsi les maladies modernes comme le stress ou l’obésité trouvent souvent leur origine dans le fait que le corps veut s’échapper de son environnement comme le ferait la grenouille face à un changement trop brusque de température de l’eau dans la casserole, ce qui est impossible dans notre cas.
Cette lutte permanente entre l’inconscient de votre organisme qui se sent menacé alors qu’il ne le devrait pas et votre conscience qui ne comprend pas pourquoi votre corps souffre est à la source de nombreux symptômes physiques et psychologiques. Ensemble, ces souffrances forment ce que j’appelle le syndrome du progrès.
Puisque le syndrome du progrès découle d’une incompréhension par votre organisme de l’environnement qui l’entoure, vous devez avant tout être conscient de la façon dont lui perçoit le monde qui vous entoure, ce qui n’est pas facile puisque pour vous le progrès semble naturel dès lors que vous baignez dedans. Le meilleur moyen de comprendre cette différence de perception de votre environnement entre votre inconscient et votre conscient est de prendre du recul en comparant l’évolution naturelle et l’évolution du progrès.
Du point de vue de l’évolution naturelle, nous appartenons tous à l’espèce Homo sapiens et notre organisme actuel n’est pas très différent de ses premiers représentants nés il y a 150 000 ans au moins. Si c’était le cas nous serions devenus une nouvelle espèce, ce qui nécessite environ 1 million d’années chez le genre humain, et nous sommes donc encore loin d’y être.
S’il peut paraître étrange de parler de différentes espèces humaines, nous avons pourtant longtemps cohabité avec d’autres humains, à savoir les Néandertaliens. Il ne s’agit pas là d’une espèce dont nous serions les descendants, mais bien d’une espèce parallèle à la nôtre qui s’est éteinte il y a 30 000 ans, ce qui peut paraître long à l’échelle d’une vie mais n’est rien sur celle de l’évolution naturelle.
Bien que nous soyons apparus en tant qu’espèce il y a plus de 150 000 ans, ce n’est qu’à partir de 9000 ans av. J.-C. avec le début de l’élevage et de l’agriculture que nous quittons progressivement notre mode de vie nomade. Ainsi, si nous nous imaginons souvent que l’homme des cavernes remonte à des temps immémoriaux, nous étions en fait encore de ceux-ci il y a 10 000 ans, durée trop courte que pour prétendre à une quelconque évolution naturelle significative de notre organisme dans l’intervalle.
C’est ainsi que si la conscience humaine a fait bien du chemin depuis, l’inconscient qui vous habite est identique à ce qu’il était chez l’homme des cavernes.
C’est pour servir l’agriculture que le progrès entame timidement son évolution avec la poterie (- 8000), la fabrique du cuivre et du textile (- 5000), la roue (- 3500), la fabrication du bronze et puis l’invention qui marque le début de l’histoire dans les manuels scolaires, à savoir l’écriture (- 3000). La Préhistoire s’arrête donc il y a 5000 ans seulement.
Apparaissent ensuite une série d’inventions qui ont révolutionné notre mode de vie. Pour illustrer cette évolution rapide, voici un tableau récapitulatif des principales inventions et découvertes qui ont marqué l’histoire du progrès humain, de l’Antiquité à nos jours :
Invention | Date |
---|---|
Verre | -1500 |
Fabrication du fer | -900 |
Monnaie | -630 |
Première Constitution démocratique | -507 |
Médecine clinique | -400 |
Papier | -300 |
Route pavée | -200 |
Moulin à eau | -100 |
Charrue | 50 |
Brouette | 100 |
Système décimal et zéro | 600 |
Premier livre imprimé | 868 |
Algèbre | 900 |
Poudre | 1044 |
Gouvernail | 1200 |
Horloge | 1300 |
Typographie | 1440 |
Bourse | 1450 |
Héliocentrisme | 1543 |
Physique newtonienne | 1687 |
Première machine à vapeur fonctionnelle | 1712 |
Échelle Celsius | 1742 |
Condensateur | 1745 |
Domestication de l’électricité | 1752 |
Submersible | 1775 |
Bateau à vapeur | 1783 |
Montgolfière | 1783 |
Système métrique généralisé | 1795 |
Principe de la vaccination | 1796 |
Pile électrique | 1799 |
Anatomie générale | 1801 |
Locomotive à vapeur | 1803 |
Conserve alimentaire | 1810 |
Photographie | 1816-1826 |
Thermodynamique | 1824 |
Moissonneuse | 1831 |
Télégraphe électrique à usage commercial | 1837 |
Anesthésie | 1842-1846 |
Presse rotative | 1845 |
Forage pétrolier | 1859 |
Théorie de l’évolution | 1859 |
Moteur à combustion externe | 1860 |
Métro | 1863 |
Antisepsie | 1867 |
Classification périodique des éléments | 1869 |
Électromagnétisme | 1873 |
Phonographe | 1876 |
Locomotive électrique | 1879 |
Lampe à incandescence | 1880 |
Gratte-ciel | 1883 |
Adoption du système des fuseaux horaires | 1884 |
Vaccination | 1885 |
Moteur électrique | 1885-1888 |
Automobile | 1886 |
Pneu | 1888 |
Moteur à combustion interne | 1893-1897 |
Cinéma | 1895 |
Électron | 1897 |
Psychanalyse | 1900 |
Théorie quantique | 1900 |
Vol aérien motorisé | 1903 |
Théorie de la relativité | 1905 |
Chaîne de montage industrielle | 1912 |
Existence de galaxies extérieures à la nôtre | 1924 |
Béton | 1926 |
Diffusion d’images télévisées | 1926 |
Antibiotique | 1928 |
Microscope moderne | 1931 |
Magnétophone | 1935 |
Radar | 1935 |
Insecticide | 1940 |
Réacteur nucléaire | 1942 |
Arme atomique | 1945 |
Ordinateur électronique | 1946 |
Vol supersonique | 1947 |
Disque vinyle | 1948 |
Cybernétique | 1948 |
Transistor | 1948 |
ADN | 1953 |
Pilule contraceptive | 1954 |
Sous-marin à propulsion nucléaire | 1954 |
Énergie nucléaire civile | 1954 |
Satellite | 1957 |
Laser | 1960 |
Astronaute | 1961 |
Transplantation cardiaque | 1967 |
Premier pas sur la Lune | 1969 |
Concorde | 1969 |
Microprocesseur | 1971 |
Trous noirs | 1971 |
Station orbitale MIR | 1971 |
Imagerie médicale | 1972 |
Automate programmable | 1974 |
Fécondation in vitro | 1978 |
Téléphone mobile | 1980 |
PC | 1981 |
TGV | 1981 |
CD | 1982 |
Avion furtif | 1988 |
Télescope spatial | 1990 |
Internet | 1990 |
GSM | 1992 |
Exoplanètes | 1995 |
Film d’animation | 1995 |
1998 | |
iPod | 2001 |
2004 | |
Greffe du visage | 2005 |
2006 | |
iPhone | 2007 |
Station spatiale internationale | 2009 |
iPad | 2010 |
Robot sur Mars | 2012 |
Boson de Higgs | 2012 |
Montre connectée | 2015 |
5G | 2022 |
Vu sous cet angle chronologique, il devient évident que l’organisme humain, ainsi projeté dans un monde qui lui est fondamentalement étranger, réagit de manière similaire à la grenouille de notre fable, cherchant désespérément à s’échapper d’un environnement qu’il perçoit comme menaçant.
La question cruciale qui se pose désormais est de savoir si l’humanité parviendra à surmonter ce syndrome du progrès et à s’adapter harmonieusement à ce nouveau paradigme. Notre conscience, cette faculté unique qui nous distingue, pourrait être la clé de cette adaptation. Cependant, si l’instinct animal profondément ancré en nous devait l’emporter, nous pourrions assister à un phénomène sans précédent : un rejet massif du progrès, entraînant une période de décroissance volontaire.
Un tel scénario marquerait une rupture fondamentale dans l’histoire du vivant, qui n’a cessé d’évoluer vers une complexité croissante depuis des milliards d’années. Le défi qui se présente à nous est donc de taille : réussir à concilier notre nature biologique avec notre environnement technologique, tout en atténuant les effets du syndrome du progrès. C’est dans notre capacité à relever ce défi que réside peut-être l’avenir de notre espèce et la prochaine étape de notre évolution.
Laisser un commentaire